
Introduction au réveil de Saint Jean d’Écosse, Mère loge écossaise de Marseille
Louis Trébuchet, Passé 2nd Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France, 5 novembre 2011
Discours prononcé à l’occasion du réveil de la Loge
Après avoir vécu comme vous l’avez fait l’ouverture des travaux au premier degré suivant le rituel de 1812 de Saint Jean d’Écosse, Mère loge écossaise de Marseille, vous pouvez réellement vous demander, en considérant par exemple la position des Surveillants, s’il s’agit bien d’une loge écossaise! Certaine obédience aux méthodes quelquefois hégémoniques, qui ne vous est pas inconnue, aurait même tendance à considérer que les sept degrés de ce rituel de 1812 ne sont autres que les sept degrés du Rite français, et à annexer ainsi notre Mère loge écossaise.
Eh bien non, Saint Jean d’Écosse n’est pas de rite Français, la Mère loge écossaise de Marseille est bien écossaise, définitivement et incontestablement écossaise, et nous verrons par son histoire qu’on pourrait même dire irréductiblement écossaise. Son rituel lui-même le proclame, dans une exhortation du Sage Maître au nouveau Maître Élu des Neuf: Ne vous présentez dans les loges Françaises, mon frère, que comme Maître, parce que leurs membres ne sont accueillis par nous que dans les grades Symboliques.
Dès 1765, dans son plus ancien tableau de loge connu, et 1766 dans une lettre de son Vénérable Maître, le Frère Tarteiron, la Loge de Marseille, sous le titre de Saint Jean d’Écosse revendique sa constitution en 1751 par la Respectable Grande Loge d’Edimbourg en Écosse. Cette revendication sera reprise de manière détaillée par un courrier du Vénérable Maître Jacques de Seymandy en 1783, puis dans un mémoire adressé en 1801 à la Loge métropolitaine Écossaise à l’orient d’Edimbourg, enfin dans une lettre au Secrétaire Général du Grand Orient en 1804. Mylord George Duvalnons fit un voyage à Marseille en 1751, muni de pouvoirs datés d’Edimbourg lui donnant le droit de constituer en France les loges qu’il trouverait bon, de l’ordre des Écossais, et même de transporter et céder ses pouvoirs au frère qu’il trouverait digne et capable. Georges Duvalnons céda ses pouvoirs au frère Alexandre Routier en la même année 1751.
Effectivement Alexandre Routier figure sur le plus ancien tableau de loge connu, 1765. À son décès en 1780 il sera appelé fondateur et doyen de ce R∴O∴ Malheureusement c’est le seul point vérifié et attesté de cette tradition, que ce soit en France ou du côté d’Edimbourg. De nombreuses interprétations et explications, quelquefois fort ingénieuses, ont été avancées, mais rien n’est démontré. Par contre des éléments très clairs de filiation avec la Respectable Loge des Élus Parfaits de Bordeaux apparaissent à la fois dans les rituels de la Mère loge écossaise de Marseille et dans les courriers des années 1750.
Quand on essaie de s’y retrouver un peu dans l’évolution compliquée de l’Écossisme entre 1740 et 1760, on arrive à déterminer quatre filières, quatre foyers de diffusion qui ont développé quasi simultanément quatre rituels de maîtres écossais bien distincts: la plus ancienne, la filière des Grands Écossais, filière parisienne liée initialement au Grand Maître jacobite Derwentwater et au Royal Order of Scotland, deuxièmement la filière, parisienne elle aussi, de l’Écossais des trois JJJ, liée initialement au comte de Clermont, troisièmement la filière des Écossais Trinitaires du Frère Pirlet, et enfin la filière des Élus Parfaits et Maîtres Écossais de Bordeaux, initiée par le frère bien connu Étienne Morin, en provenance de l’Angleterre et de la Jamaïque.
Il suffit de lire l’Histoire des Maîtres Écossais Vrais d’Écosse incluse dans le rituel de 1812 de la Mère loge écossaise de Marseille pour saisir que c’est à cette dernière famille que ce degré appartient. Rien d’étonnant à cela. Le lien entre Bordeaux et Marseille est ancien. Le 6 janvier 1750 la Respectable Loge de Marseille écrit à la Très Respectable Mère Loge de Bordeaux: Nous suivrons exactement les sages règlements que nous avons de votre part, et soyez bien persuadés que nous nous rendrons digne de la faveur que vous avez bien voulu nous faire. Or pour la même année de 1750 la correspondance de la loge Saint Jean de Jérusalem d’Avignon inclut un courrier de la Loge Saint Jean de Jérusalem de Marseille où l’on retrouve les mêmes noms que dans la Respectable Loge de Marseille: les frères Du Beausset, Peletan, Seymandy. C’est visiblement un exemple de superposition d’une loge symbolique, Saint Jean de Jérusalem, et d’une Parfaite Loge Écossaise regroupant les Élus Parfaits et Maitres Écossais de cette loge symbolique.
Pouvons-nous voir dans cet ensemble l’origine de Saint Jean d’Écosse, Mère loge écossaise de Marseille? C’est fort possible, d’autant que deux ans plus tard, en 1752, dans un autre courrier adressé à Bordeaux, la loge s’intitule Respectable Loge d’Écosse de Marseille. L’hypothèse d’une filiation de Bordeaux est beaucoup plus plausible qu’une filiation directe d’Écosse qui impliquerait un rituel plus proche de celui des Anciens. En tout état de cause filiation de Bordeaux ou filiation d’Edimbourg, il s’agit bien d’une filiation écossaise.
D’ailleurs la majorité des rituels, sauf deux, marquent clairement leur différence avec le Régulateur du Chevalier Maçon, recueil des hauts grades, et le Régulateur du Maçon, recueil des degrés symboliques, publiés par le Grand Orient en 1801. Bien sûr, comme pour la majorité des loges Écossaises au XVIII° siècle, les rituels des degrés symboliques de la Mère loge écossaise de Marseille ne sont pas totalement ceux des Anciens, la position des Surveillants et les mots des degrés sont Modernes, mais la position des trois piliers Sagesse, Force et Beauté est celle des Anciens, de même que l’usage de l’acclamation Houzzai. En réalité nombre de loges écossaises en France, comme Saint Jean d’Écosse, ont été fondées avant 1751, date de la création de la Grande Loge des Anciens. Leurs rituels sont très variés. Certaines comme la loge du marquis de Gages en 1763 ou la Française Élue Écossaise de Bordeaux en 1767 reprennent la particularité Écossaise de la circulation du mot. Une seule est connue avec certitude pour avoir travaillé au rite ancien, c’est La Parfaite Union de Namur, fondée directement par la Grande Loge d’Écosse.
Ce sera sous la présidence d’Alexandre de Grasse-Tilly en 1804, que la Grande Loge Générale Écossaise uniformisera les trois premiers degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté en reprenant le rituel des Anciens auquel elle ajoutera la circulation du mot, typique de la Franc-maçonnerie écossaise depuis le XVII° siècle. Et la Mère loge écossaise de Marseille y jouera un rôle: ce sera par l’intermédiaire de ses loges filles, et petites filles. Des loges filles, la Mère loge écossaise en aura beaucoup : on en dénombre au moins 27 en un demi-siècle, soit plus d’une tous les deux ans, bien sûr en Provence, Salon, Hyères, Brignoles, Aix, Saint Chamas, Martigues, Toulon, Draguignan, le Luc, Cuers, mais aussi Nîmes, Cadenet, Pignan, Riez, Valensole, et plus loin au-delà des mers, Bastia, Constantinople, Gènes, Smyrne, Salonique et même Saint-Pierre de la Martinique, ou Saint-Domingue. Celle qui nous intéresse est fondée en 1774 dans ce qui est alors une enclave étrangère en France, Avignon, terre pontificale. La Mère loge écossaise de Marseille y accorde au marquis d’Aigrefeuille non seulement la constitution d’une loge, Saint Jean d’Écosse d’Avignon, mais aussi le droit de constituer d’autres loges, avec le titre de Mère loge écossaise d’Avignon. Un détail pittoresque, qui le fut peut-être moins pour ceux qui le vécurent: quelques mois après sa constitution, le 3 février 1775, Saint Jean d’Écosse d’Avignon est fermée par le Père Mabile, un Inquisiteur du pape, son mobilier et ses papiers sont saisis. Qu’à cela ne tienne, la loge se reconstitue quelques mois plus tard sous le nom que nous lui connaissons aujourd’hui, Saint Jean de la Vertu persécutée. Et quelques mois plus tard encore, le 1er avril 1776, la Mère loge écossaise d’Avignon transmet ses pouvoirs à deux de ses frères qui ont des attaches à Paris, et qui transforment la loge parisienne Saint Lazare en Saint Jean d’Écosse du Contrat Social, Mère loge écossaise de France.

En près de quinze années de rapports étroits, ces deux Mères loges, celle d’Avignon et celle de Paris, fille et petite-fille de Marseille, feront évoluer leurs rituels écossais, créant ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Rite Écossais Philosophique. L’une des leurs loges filles, Saint Alexandre d’Écosse, à l’Orient de Paris, initiera le 8 janvier 1783 un jeune officier de 18 ans, Alexandre Auguste de Grasse-Tilly, qui quittera la France pour Saint-Domingue à l’orée de la Révolution. Après la tourmente, Alexandre est encore aux Antilles, Saint Jean d’Écosse de Marseille, qui s’était mise en sommeil après avoir vu cinq de ses frères, y compris Seymandy et Tarteiron, décapités par la Terreur, se réveille en 1801, prenant provisoirement le titre de Mère Loge Écossaise de France, flambeau qui repassera quelques mois plus tard à Saint Alexandre d’Écosse réveillée à Paris.
Tout naturellement, lorsqu’il rentre en France en 1804, en vue d’y créer un Suprême Conseil, Alexandre de Grasse-Tilly, Souverain Grand Inspecteur Général du 33e degré, se retourne vers sa loge mère Saint Alexandre d’Écosse pour l’aider à fédérer toutes les loges écossaises de France dans la Grande Loge Générale Écossaise. C’est ainsi que certains degrés du Rite Écossais Philosophique feront leur entrée dans le Rite Écossais Ancien et Accepté et c’est ainsi que le V∴M∴ de la Mère loge écossaise de Paris, Godefroy de la Tour d’Auvergne et le V∴M∴ la Mère loge écossaise de Marseille, le T∴R∴F∴ Bonnier, participeront aux travaux de la Grande Loge Générale Écossaise, qui aboutiront à l’unification des rituels.
Malheureusement lorsque le T∴Ill∴F∴ le Mal d’Empire Kellermann, l’un des chefs de l’ancien Rit écossais, présenta à son altesse sérénissime l’Archi-Chancelier de l’Empire les FF de Grasse-Tilly et Pyron… Son Altesse Sérénissime leur annonça que Sa Majesté l’Empereur désirait que la Gde∴L∴Gle∴ se rapprochât du Gd∴O∴. Sous cette irrésistible pression les négociations avancèrent très vite, et lors de sa sixième réunion, le 5 décembre 1804, le Rble F∴ Pyron a donné lecture du concordat signé entre les Comres du G∴O∴ d’une part et les Comres de la Gde L∴ Gle Ec∴ relativement à la réunion de l’Ancien Rit accepté au G∴O∴, l’orateur entendu, la Gde L∴Gle Ecossaise a déclaré approuver et ratifier tout ce qui a été fait par ses Comres et qu’elle serait dès ce jour au G∴O∴ de France pour ne plus former à l’avenir avec lui qu’un seul et même corps de Mac∴. Tous les frères se rendirent en délégation au Grand Orient pour fêter et célébrer cette union, qui en réalité ne dura guère que quelques mois. Tous sauf un, le V∴M∴ de Saint Jean d’Écosse de Marseille, qui depuis un demi-siècle refusait toute velléité hégémonique.
Déjà en 1766 Tarteiron avait refusé courtoisement mais fermement la mise au pas par la Grande Loge de France. Lorsqu’en 1781 la Mère Loge Écossaise de France, Saint Jean du Contrat Social accepte de verser capitation au Grand Orient pour ses loges symboliques, la Mère loge écossaise de Marseille s’y refuse. Lorsque, le 10 mars 1801, François-Balthazar Jullien de Madon réveille Saint Jean d’Écosse de Marseille après la Révolution, le Grand Orient et la Grande Loge de France ont fusionné depuis deux ans, mais la Mère loge écossaise de Marseille reste à l’écart. Fidèle à ses principes, cette irréductible loge écossaise ne pouvait en 1804 que refuser le concordat et se replier une nouvelle fois sur ses terres de Provence.
C’est certainement la raison pour laquelle elle utilise toujours en 1812 son ancien rituel, et non pas le rituel du R∴E∴A∴A∴ de 1804.
Elle conservera farouchement son indépendance jusqu’à sa disparition dans les bouleversements de la fin de l’Empire. Ce sont ses liens trop étroits avec les dignitaires de l’Empire en Provence et en Méditerranée qui entraineront sa chute, alors qu’elle est au summum de sa puissance: son Vénérable Maître est le préfet des Bouches du Rhône, son premier Surveillant le vice-président du tribunal, son second Surveillant le maire de Marseille. L’Orateur est le général commandant la division militaire, le Secrétaire est le secrétaire général de la Préfecture. Parmi ses membres, plus de deux cents, figurent le commandant des forces navales en Méditerranée, le préfet maritime de Toulon, le maire et le premier président de la Cour d’appel d’Aix.
C’est avec eux, nos grands anciens écossais de Provence, que nous faisons le lien aujourd’hui, dans cet évènement historique du réveil de Saint Jean d’Écosse, Mère loge écossaise de Marseille.
Et un historique en images, de sa création à 2021, en passant par son réveil en 2011.

Et un diaporama: